à propos

Texte pour l'exposition ...becs et ongles, à la Septieme Gallery.

 

Ça crisse, frôle et dérape.

La gestuelle est ancestrale et les matières simples comme bonjour. Papier, cuir, bronze et ocre en pastel. C’est la terre des ancêtres, des miens et des autres. Ils apparaissent dans les grottes et dans mes souvenirs avec des couleurs chaudes, du feu, des silex, des odeurs d’encres et un bruit qui crépite.

Les mains sont fortes.

La peau est douce.

La blessure est tendre.

La lame est aiguisée.

 

Je ne veux pas être nostalgique mais je veux retrouver la force du geste, par la répétition et l’allégresse. C’est de chaleur dont on a besoin.

 

Souples, un souffle , ce sont des sculptures modulables, résilientes, qui s’adaptent.

Il y a du papier, parce que ce sont des fibres vibrantes. Il y a du cuir, parce que cette peau, qui fut usée, abîmée et jetée, je l’ai récupéré. Les deux matières s’accompagnent : le papier renforce le cuir, le cuir assouplit le papier. Elles sont bien plus solides qu’elles n’en ont l’air.

Le fer transperce autant qu’il soutient et accompagne. Il montre la direction quand la matière donne le corps. Ce sont des carcasses et ce sont des envols.

 

Des objets tranchants dans un corps sauvage , encore la même chose mais dans une autre dimension. Contre un mur, doucement plaquées, plantées, l’ambivalence des matières propose à la fois une lutte et une union. Une animalité contre une animosité, une tendresse.

 

D’un pays de terre d’ocre, les terres troubles prennent leurs racines. Ce sont des paysages façonnés à la main, patiemment labourés, pour qu’apparaissent des anfractuosités et des histoires.

Comme les tendres textes , qui eux, ne doivent leurs reliefs qu’à la lumière, une lumière rasante et qui s’agrippe. Au lieu d’écrire je dessine. Le dessin devient écriture et le scalpel est un stylo qui griffe.

Les caressantes , mains de toujours, des peintres anciens et des chorégraphies du quotidien. Je les voulais petites, pour leur vulnérabilité, et en bronze, pour qu’elles portent leur poids.

Tout ça pour continuer avec une joie féroce, becs et ongles.


 

Je construis un travail de dessin qui entame la surface.
Qu’il s’agisse de gratter derrière un miroir ancien ou d’inciser le papier, l’objectif est de rendre visible une matière et d’en produire un autre espace. C’est une pellicule qui s’effrite, une protection qui s’efface, une peau qui se gonfle et donc une sensation qui est suggérée. J’interroge la mémoire des textures et du motif, le rythme, la pulsation, la répétition, et laisse ainsi mes compositions se créer, par un lent déphasage.

La pratique du dessin longue et méditative permet, dans sa belle ambivalence, de composer des espaces très dynamiques. L’agitation prend forme à partir d’un geste lent. Les outils sont la conséquence de cette lenteur: rotring, travail à la plume, au feutre de calligraphie, au scalpel. Tous ces instruments impactent le travail par l’exiguïté de leurs empreintes. Alors, pour que ces marques deviennent marquantes, je les accumulent, fusionne, tisse et brode sur papier. En les densifiant, cela devient de la peau, une texture, un élément, une superficie.

Du réel, il en reste l’idée. Dans mes dessins, rien n’est vrai. Aucune perspective, aucun horizon n’existe, et pourtant, ils sont composés de paysages vus, observés, vécus.
«Ses compositions tourbillonnantes dépeignent une nature insaisissable, composée non de solides arbres, de montagnes ou de lacs mais de milliers de fragments composites, comme les éclats d’un miroir brisé qui reflètent chacun à leur manière leur environnement. On ne s’étonnera guère de retrouver dans le travail d’Angèle Guerre des dessins associés à des miroirs dont la matière même qui sert à refléter le réel a été grattée au scalpel. Dans ces miroirs anciens au mercure, le tain a subi un long processus d’oxydation, de piquetages dus au temps, venant répondre aux minutieux paysages et aux brumes mouchetées qui parfois les enveloppent.» (C.Paulhan)

Dans le travail avec le scalpel, c’est un autre mécanisme qui se met en place : celui de reproduire instinctivement des gestes immémoriaux. C’est la peau d’une bête tendue qu’on dépèce, qu’on met en pièce. Tailler, couper dans la masse, piquer, ce sont aussi des gestes de couturière, de relieur ou de boucher : un travail de manutention précis, celui de l’écrivain aussi.
Le dessin s'aborde comme un artisanat où s’invente une écriture.

 

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